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Malibu Beach, Californie
21 h 14
C’est donc ce que connaissent les gens qui ont une vraie vie, se dit Riggins. Des tas de jolis trucs sympas.
Lui aussi aurait pu en avoir. À condition que cela ne reste pas dans une maison à prendre la poussière.
Les déménageurs chargeaient les derniers cartons. Riggins avait engagé lui-même cette entreprise qu’il avait trouvée sur Internet : Les Étudiants précaires. Leur nom l’avait fait rire. Il les avait appelés en leur disant que c’était une urgence et qu’ils auraient une prime de rapidité. Ces types n’étaient peut-être pas vraiment des étudiants, mais en tout cas, ce soir, ils ne mourraient pas de faim. Et il n’y avait aucun risque qu’ils aient le moindre lien avec Sqweegel, car Riggins les avait choisis au hasard.
— C’est tout ? demanda-t-il.
— Oui, je crois, dit le chef d’équipe.
— O.K. Suivez cette voiture.
La voiture portait le sigle du FBI. C’étaient deux gars en qui Riggins avait une confiance absolue.
Au final, cela n’avait pas grande importance : tout allait dans une entreprise de garde-meubles elle aussi choisie par Riggins. Si Sqweegel voulait se donner la peine de retrouver la trace des affaires de Dark, eh bien, il aurait de quoi faire. S’il avait envie de s’extasier sur tous ces bibelots design, chic et de bon goût, tant mieux pour lui. Il pouvait même se mettre un des bougeoirs bien au fond si ça lui chantait.
Car Dark ne récupérerait ses affaires qu’à une seule et unique condition : s’il liquidait Sqweegel. Dans le cas contraire, c’est Steve qui serait mort. Et, là, il ne risquerait pas de se soucier de ses meubles.
Sibby, en revanche… Oui, elle pourrait.
Riggins éprouvait quelques scrupules à avoir pris cette décision, en partie parce qu’il se souciait sincèrement de Dark et de Sibby. Si ce tordu avait réussi à pénétrer une fois dans leur maison, il recommencerait autant de fois qu’il le voudrait en toute impunité. Il était hors de question que le couple y passe une nuit de plus.
Mais, en toute honnêteté, Riggins voulait que Dark se concentre sur la mission, sans quoi, il y laisserait sa peau. Et Dark ne pouvait avoir l’esprit tranquille s’il devait penser à sa femme. Mieux valait qu’elle soit à l’abri, chez son père, pendant que Dark s’occupait du monstre.
Le camion des déménageurs démarra. Riggins inspecta une dernière fois la maison à la lueur de sa torche, vérifiant qu’il n’avait rien oublié ni manqué. Non, il n’avait rien laissé au hasard. Il allait tout fermer quand il entendit du bruit à l’étage. De l’eau qui coulait goutte à goutte.
Non. Ne fais pas l’étonné. C’est tellement son genre. Se cacher dans une foutue boîte à chaussures, attendre que tout le monde soit parti, et là, au dernier moment…
Qu’il aille se faire foutre ! se dit Riggins en dégainant son arme. Il espérait presque que ce petit salaud soit là-haut. Presque.
Il monta lentement les marches, le cœur battant. Ce n’étaient plus des gouttes, à présent, mais le bruit d’un filet d’eau coulant d’un robinet.
Il longea le couloir, se rapprochant du bruit. Et si un des Étudiants précaires se lavait les mains après avoir pissé ? Possible qu’il n’ait pas remarqué le départ de ses copains, perdu qu’il était dans ses pensées à écouter son iPod. On n’allait tout de même pas lui loger une balle dans le crâne pour si peu.
— FBI ! cria Riggins par précaution.
Pas de réponse. Riggins se rendit compte que le bruit provenait de la salle de bains attenante à la chambre. Le bruit était plus fort, à présent. L’eau coulait à flots. Riggins plaqua une oreille contre la porte.
Une baignoire était en train de se remplir. Un bruit familier qui lui rappela l’époque où il était marié. Ses épouses adoraient faire trempette.
Riggins recula. C’était maintenant ou jamais. Il donna un grand coup de pied dans le battant à la hauteur de la poignée. La porte s’ouvrit, et il se glissa à l’intérieur, balayant les lieux de son pistolet.
La salle de bains était remplie de vapeur. Il inspecta le seul espace clos qui restait : le placard.
Rien.
Il referma le robinet d’eau chaude, laissa la vapeur se dissiper. Quelques gouttes d’eau continuèrent de s’écouler dans la baignoire. Riggins baissa machinalement les yeux. Par terre, sur le carrelage blanc, il vit une minuscule plume. Steve et Sibby n’avaient pas d’oiseaux. Les chiens ne les auraient jamais laissés en paix. Que faisait-elle donc là, cette plume ?
Riggins la saisit délicatement entre deux doigts et la leva à hauteur d’yeux. Un gris terne, avec des nuances roses et brunes sur les bords. Riggins était loin d’être un ornithologue averti – il savait que certains oiseaux volent, d’autres non, et que beaucoup sont délicieux farcis ou en sauce. Mais il y avait des gens à la DAS qui pourraient tout lui en dire : ordre, famille, genre et espèce.
Ce n’était pas cependant ce qui préoccupait Riggins. Cette plume, Sqweegel avait-il pu la déposer ici ? Cela ne semblait guère logique. Un dingue qui ne laissait jamais derrière lui ne fût-ce qu’une pellicule pouvait-il se mettre à semer des indices ? Et puis, surtout, une plume d’oiseau… Non, il devait y avoir une autre raison.
Peut-être un piaf s’était-il introduit par la fenêtre brisée et avait-il voleté un peu dans les parages avant de ressortir ailleurs. Dans ce cas, pourquoi n’y avait-il aucune autre trace nulle part ? C’était lui qui avait personnellement empaqueté toutes les affaires de Steve et Sibby.
Peut-être Sqweegel était-il bien derrière cela. Peut-être avait-il enfin commis une erreur.
Pendant que Riggins réfléchissait et cherchait d’autres plumes dans la pièce, la vapeur s’était dissipée. Et Riggins vit sur le miroir un numéro de téléphone, comme écrit du bout de l’index d’un enfant.
Riggins se releva, sortit son mobile et prit une photo du numéro avant qu’il disparaisse. Puis il le composa.
Pour appeler le tueur, connectez-vous sur LEVEL26.com et tapez le mot de passe : comptine.